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05/03/2014

Le poème de la semaine

Marie Noël

La Morte et ses mains tristes…
Arrive au Paradis.
 
"D’où reviens-tu, ma fille,
Si pâle en plein midi?
 
- Je reviens de la terre
Où j’avais un pays,
 
De la saison nouvelle
Où j’avais un ami.
 
Il m’a donné trois roses
Mais jamais un épi.
 
Avant la fleur déclose,
Avant le blé mûri,
 
Hier il m’a trahie.
J’en suis morte aujourd’hui.
 
- Ne pleure plus, ma fille
Le temps en est fini.
 
Nous enverrons sur terre
Un ange en ton pays,
 
Quérir ton ami traître,
Le ramener ici.
 
- N’en faites rien, mon Père
La terre laissez-lui.
 
Sa belle y est plus belle
Que belle je ne suis,
 
Las! et faudra, s’il pleure
Sans elle jour et nuit
 
Que de nouveau je meure
D’en avoir trop souci."
 
Quelques traces de craie dans le ciel,  
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:05 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

26/02/2014

Le poème de la semaine

Emile Nelligan

Hier, j’ai vu passer, comme une ombre qu’on plaint, 
En un grand parc obscur, une femme voilée: 
Funèbre et singulière, elle s’en est allée, 
Recélant sa fierté sous son masque opalin. 
  
Et rien que d’un regard, par ce soir cristallin, 
J’eus deviné bientôt sa douleur refoulée; 
Puis elle disparut en quelque noire allée 
Propice au deuil profond dont son cœur était plein. 
  
Ma jeunesse est pareille à la pauvre passante: 
Beaucoup la croiseront ici-bas dans la sente 
Où la vie à la tombe âprement nous conduit. 
  
Tous la verront passer, feuille sèche à la brise 
Qui tourbillonne, tombe et se fane en la nuit; 
Mais nul ne l’aimera, nul ne l’aura comprise. 
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel, 
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

08:11 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

19/02/2014

Le poème de la semaine

Robert Marteau

Dans l’ombre puis dans la clarté,
le rouge-gorge apparaît,
avant-courrier de l’hiver,
merveille qui surprend la vue
à chaque apparition.
 
Abréviation du feu,
il ne consume pas le bois
dont il fait son bref abri.
 
La forge qu’il allume,
le fer qu’il forge,
ont habité la mémoire depuis si longtemps
que la braise là-bas
dans l’huis par où passe le froid
nous reste une surprise immémoriale.
 
Regarde comment il offre à l’air
encore teint de roses de l’automne
son plastron:
il annonce ainsi la neige,
lui qui en aime les fleurs,
qui marque de son passage
la nappe cristallisée,
puis se tient en haut
avec la dernière pomme.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

 

00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

12/02/2014

Le poème de la semaine

Abdellatif Laâbi

La dernière pensée avant le sommeil
autant qu'elle soit heureuse
surtout si la journée a été rude
ou inconsistante
 
Convoquer alors une image précieuse:
le sourire qui s'est élevé loin
au-dessus des autres
la parole aussi pure
que l'idée en sa quintessence
l'icône vivante de celle ou celui
qui nous a inspiré
la joie de tous les sens
et puis ouvrir la main
au cas où
avant de fermer les paupières
sur une douce lumière
qui verra s'élancer l'oiseau de notre choix
dans un ciel à l'échelle d'une vie
brève ou longue
 
Vivre ainsi par anticipation
la cérémonie déchirante de l'ultime voyage
pour mieux jouir à notre réveil
de la résurrection
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel, 
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

05/02/2014

Le poème de la semaine

Maurice Carême

merci à José M

On vendit le chien, et la chaîne,
Et la vache, et le vieux buffet,
Mais on ne vendit pas la peine
Des paysans que l’on chassait.
 
Elle resta là, accroupie
Au seuil de la maison déserte,
A regarder voler les pies
Au-dessus de l’étable ouverte.
 
Puis, prenant peu à peu conscience
De sa forme et de son pouvoir,
Elle tira d’un vieux miroir
Qui avait connu leur présence,
 
Le reflet des meubles anciens,
Et du balancier, et du feu,
Et de la nappe à carreaux bleus 
Où riait encore un gros pain.
 
Et depuis, on la voit parfois,
Quand la lune est dolente et lasse,
Chercher à mettre des embrasses
Aux petits rideaux d’autrefois. 
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

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29/01/2014

Le poème de la semaine

Jean-Pierre Schlunegger

Musique ruisselante, pluie heureuse
Qui s'obscurcit de chute en chute, haletante
Jusqu'à cette limite où les cordes s'étranglent,
S'enrouent à devenir une musique blanche,
La voix de sable au bord de la douleur
Qui dit l'enfance irrémédiable, dit l'amour
Inaccessible à l'instant même où il se chante,
Une anémone fermée sur l'aile de la mer,
Distend l'accord, sépare
Les cordes soeurs, les cordes fières, jusqu'au cri...
Puis le bruit sec de la cassure et le silence. 
 
Quelques traces de craie dans le ciel, 
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

22/01/2014

Le poème de la semaine

Maurice Chappaz

Notre vie avec ses oeuvres
ne dure pas plus qu'un paquet de tabac,
y compris le pays où j'attends;
telle la petite fumée qui s'échappe
comme si j'étais cette petite fumée
au moment où la pipe reste chaude dans la main
après avoir été expirée.
 
Les années s'éteignent.
 
Le savoure la dernière braise.
 
Je trébuche après avoir fumé
entre un "Pater" et un "Ave".
J'ouvre, je ferme les yeux.
Tout se mélange,
et dans ma mémoire qui s'efface
je me retrouve avec les petits lacs
qui bougent dans les montagnes
telles des paupières.
 
Le soleil à peine disparu,
il y eut une giclée de lune:
le croissant s'infléchit très jaune
dans une échancrure de la montagne,
une gorge l'avale.
 
Elle surgit,
brille de plus en plus,
m'éblouit.
 
D'un instant à l'autre,
je vois deux lunes
qui voisinent puis s'enfoncent.
 
De nouveau une seule lèche les ténèbres.
Un brasier de feu remue,
enfin quelques tisons se dissipent dans les rochers.
 
Mes pensées me dépassent,
filent en moi, obscures, tronquées,
s'évanouissent en traits plus noirs que la nuit.
Elle limpidement obscure.
 
Il y a des traits noirs.
 
Ces traits noirs sont de petits oiseaux inconnus,
leurs ailes cernent en allées et venues
les parois du chalet,
à peine ai-je le temps de les apercevoir. 
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel, 
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

 

18/01/2014

Morceaux choisis - Pierre-Alain Tâche

Pierre-Alain Tâche

Dans l'embellie à peine moins frileuse,
où tremble un vol de moucherons,
je vis dans l'échancrure des bourgeons.
 
On dira qu'une abeille m'égare:
des fleurs, encore des fleurs...
Et qu'en est-il des cris, des pleurs,
des vies que l'on vole aux quatre vents?
 
J'assume la futilité de ma bouche.
Elle ne fut jamais infidèle
aux leçons de l'insecte, au devoir de louer,
dans la tourmente de mon temps
- et quand bien même j'entendais.
 
Car le pire eut été, face à l'horreur,
de renoncer; et d'éconduire la beauté.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel, 
Anthologie poétique francophone du XXe siècle 

00:14 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

01/01/2014

Le poème de la semaine

Guillevic

Tout ce qu'on a tenu
Dans ses mains réunies:
 
Le caillou, l'herbe sèche,
L'insecte qui vivra,
 
Pour leur parler un peu,
Pour donner amitié
 
A soi-même, à cela
Qu'on avait dans les paumes,
 
Que l'on voudrait garder
Pour s'en aller ensemble
 
Au long de ce moment
Qui n'en finissait pas.
 
Tout ce qu'on a tenu
Dans ses mains rassemblées
 
Pour ajouter un poids
De confiance et d'appel,
 
Pour jurer sous le ciel
Que se perdre est facile.
 
Tout ce qu'on a tenu:
L'eau fraîche dans les mains,
 
Le sable, des pétales,
La feuille, une autre main,
 
Ce qui pesait longtemps
Qui ne pouvait peser,
 
Le rayon de lumière,
La puissance du vent,
 
On aura tout tenu
Dans les mains rapprochées.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel, 
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

06:35 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

25/12/2013

Le poème de la semaine

René Char

Redonne-leur ce qui n'est plus présent en eux,
Ils reverront le grain de la moisson s'enfermer dans l'épi et s'agiter sur l'herbe. 
Apprenez-leur, de la chute à l'essor, les douze mois de leur visage,
Ils chériront le vide de leur coeur jusqu'au désir suivant;
Car rien ne fait naufrage ou ne se plaît aux cendres;
Et qui sait voir la terre aboutir à des fruits,
Point ne l'émeut l'échec quoiqu'il ait tout perdu.

 
Quelques traces de craie dans le ciel, 
Anthologie poétique francophone du XXe siècle